Lorsqu’un auteur crée un personnage il en dresse en général un portrait plutôt élogieux à moins que son personnage ne soit intentionnellement un anti-héros. Ce n’est pas le cas de Nick Jordan qui est bien un héros dans la grande tradition. Il a pourtant bien mal débuté dans la vie.
Vers l’âge de treize ou quatorze ans c’est « un gamin chétif qui avait grandi trop vite, une grande bringue, maigre à faire peur et affligée par surcroît d’une sensibilité de fillette. »! J’avoue être resté interloqué lorsque j’ai lu cette description. De plus on apprend que son prénom, Nicolas, lui vaut les railleries de ses camarades de classes : évêque à grande barbe blanche distributeur de jouets, grossiste en vin. La victime de ces moqueries aurait pu rester sans réaction mais « malheureusement Nicolas n’avait pas son pareil pour “monter à l’arbre“. (); si l’on insistait, il trépignait ou fondait en larmes. ». Pourtant Nicolas essaie bien de se faire respecter et se jette parfois dans la bagarre. Las « Son amour-propre n’y avait pas trouvé son compte, chacune de ces manifestations s’étant soldées par une raclée mémorable. »
A ce point du récit on imagine bien qu’il va se passer quelque chose car si Nicolas est devenu Nick ce n’est pas par hasard : « Alors un beau jour, il avait décidé de devenir un homme.() Il avait une âme de fille, il s’en était forgé une de garçon. () Il avait appris à contrôler ses nerfs (), à rester maître de lui en n’importe quelle circonstance. ». Et l’on retrouve ce bon esprit cher à la collection Marabout destinée aux adolescents!
Mais bien sûr il ne suffit pas de le vouloir, il faut s’en donner les moyens. « Il s’était aussi, et surtout, efforcé d’endurcir sa carcasse débile ». On prendra bien sûr le mot « débile » dans son sens primaire de faible, manquant de forces. « () au prix d’exercices souvent fastidieux, il avait développé chaque muscle de son corps. () il avait réussi à s’introduire dans une équipe de basket-ball où plastronnaient tous les durs du lycée. Enfin il avait pris des cours de judo… ».
La chenille devient un papillon : « Les mois avaient passés, puis les années. Insensiblement, Nicolas le souffre-douleur s’était effacé devant un être nouveau prénommé Nick (diminutif viril, s’il en est, incisif comme un coup de poignard (). Au regard craintif () de l’enfant () s’étaient substitués peu à peu le sourire franc, assuré, le regard clair et lucide du jeune homme qui sait ce qu’il vaut et ne craint pas de se frotter à la société… ».
Nick Jordan est devenu un homme. Mais quel homme? « Mince jusqu’à paraître fluet,() ce grand garçon de vingt-sept ans () n’avait rigoureusement rien d’un athlète. Pourtant on devinait en lui la tranquille assurance des gens qui sont certains de leur force () lents à s’émouvoir mais qui se révèlent des adversaires dangereux lorsqu’on les accule au combat. » Nick Jordan n’est pas une mauviette, il a même fait la guerre d’Indochine : » Une fine cicatrice blanche lui barrait le front () souvenir de Dien-Bien-Phu ou il avait été grièvement blessé. ».
Finalement cette description n’a t-elle pas pour but d’humaniser le personnage? De justifier qu’un « espion » puisse garder un côté humain? Nick Jordan a été faible, y a t-il quelqu’un de mieux placé que lui pour comprendre les faiblesses de l’être humain?
Essayons de décrire le personnage afin que vous puissiez le reconnaître si vous le croisez dans la rue.
Nicolas-Sébastien-Paul Jordan, dit Nick Jordan, est né en 1932 (l’auteur ne le dit pas mais on peut facilement calculer cette date). Il est grand, toujours légèrement voûté, a des « jambes d’échassier ». Ces cheveux sont « de jais » et les « boucles résistaient à l’action conjuguée de l’eau de Cologne et de la brillantine ». Son teint est « mat légèrement hâlé », ses joues sont « creuses » et même « les rasoirs les plus effilés n’arrivaient jamais à (les) débarrasser d’un reflet bleuâtre. ». A tel point qu’on peut « le prendre pour un Espagnol ou un Italien » mais « ses yeux curieusement clairs, d’un vert où passaient comme des reflets dorés, inspiraient quelque doute sur la pureté de ses origines méridionales. ». Nous l’avons vu plus haut il a « Une fine cicatrice blanche (qui) lui barrait le front, depuis l’arcade sourcilière gauche jusqu’à la racine des cheveux. ».
Que sait-on d’autre sur Nick? Il a « fait Polytechnique ». Et on peut se demander pourquoi il a atterri à la D.S.T. L’auteur nous donne une explication : « () sa décision lui avait été principalement inspirée par un penchant romanesque qui le portait à considérer les agents de () la Sûreté Nationale comme autant d’intrépides chasseurs d’espions, accumulant les faits d’armes époustouflants et bravant les pires dangers avec le calme sourire du héros. ». Ouf! nous sommes rassurés sur la pureté des intentions du personnage.
Pour l’anecdote nous remarquerons que Nick fume beaucoup (des Chesterfield qu’il allume avec un briquet en or soigneusement rangé dans un étui en daim) ainsi d’ailleurs que bon nombre des protagonistes de la série ce qui peut sembler dérangeant pour notre époque mais était tout à fait normal dans les années 50/60 y compris dans une série destinée aux adolescents.